Un jour de marché

par Lore | 11/03/2020

Bonjour à tous,

Pour ce nouvel article nous voulions vous raconter une anecdote, une petite histoire qui nous a marqués et touchés. Un vendredi matin, alors que nous allions au marché comme d’habitude, nous avons glissé à notre maraîcher que nous étions en formation pour exercer le même métier que lui. Il a alors commencé à nous parler de son rapport à ce métier, de son expérience, en nous signalant très vite, qu’il ne voulait pas nous décourager, mais qu’il fallait savoir que c’était très dur. Il insistait pour dire qu’il avait fait toute sa vie ce qu’il aimait, à savoir travailler la terre mais qu’il était fatigué. Son corps est fatigué, son genou et son dos le font souffrir, on le voit à sa démarche. Il nous a parlé de la charge de travail, des aléas climatiques qui peuvent tout ruiner en une nuit, de la pression financière… Et il a fini par fondre en larmes et par s’éloigner pudiquement, s’excusant à plusieurs reprises de craquer ainsi devant nous. Sa compagne est alors venue nous voir, expliquant comme c’est dur mais comme elle pense que notre génération ne refera pas exactement pareil, qu’un changement va se faire. Mais que ce métier n’est absolument pas reconnu.

Notre système agricole va mal et cela se traduit par des hommes et des femmes d’une cinquantaine d’année, le corps et l’esprit usés, qui se sentent abandonnés. Par les institutions, par leurs concitoyens aussi. Des gens qui mettent plus de 20 ans pour rembourser leur matériel et qui, en travaillant jusqu’à 17 heures par jour, se tirent au sommet de leur productivité à peine un SMIC… Et ce n’est pas étonnant alors que nous revient en mémoire le chiffre affolant du nombre de suicides chez les agriculteurs.
Notre système agricole va mal et j’insiste sur ce terme, il faut arrêter de fustiger les agriculteurs. Oui certains utilisent des produits nocifs pour l’environnement. Oui, ils polluent avec les engins agricoles et autres et un coup d’œil rapide et non scrupuleux pourrait amener à croire que la réponse se trouve simplement dans l’importation de produit bio venant de l’autre bout du monde. Mais le problème est plus complexe que ça. On a demandé à nos agriculteurs d’acheter des surfaces énormes, on leur a demandé de faire de la monoculture, de s’adapter aux machines. On leur a vendu une méthode qui a encouragé les maladies pour ensuite leur proposer des produits censés les combattre. On leur a fait miroiter l’idée qu’en aillant une plus grande surface ils pourraient vivre plus confortablement. On leur a demandé de s’endetter sur des dizaines d’années pour acheter des machines énormes. Alors non, il ne s’agit pas de glorifier les paysans, de dire qu’ils sont tous merveilleux, encore une fois, la clé de tout cela est la nuance. Comprendre comment ils ont été entraînés, aveuglés. Ils sont les premières victimes de ce système. Les premiers à vivoter avec des salaires de misères, à être méprisés parce qu’ils ne font pas assez bien… Nos agriculteurs ont besoin de soutien, ont besoin de solutions aussi. Oui passer au bio c’est bien, mais quand votre sol a été pollué pendant des années, martyrisé par les machines et que vous avez des hectares et des hectares à couvrir, comment retrouver une productivité en seulement trois ans (durée des aides à la conversion) ? C’est presque impossible et c’est aussi pour ça que beaucoup d’agriculteurs ne peuvent pas se convertir.

Promouvoir de nouveaux modèles ce n’est pas se contenter de cracher sur ce qui a été fait avant. C’est écouter les détenteurs des anciens modèles, comprendre, accepter qu’ils ont aussi à nous apprendre. C’est aussi le faire pour eux, pour ne plus voir ce genre de scène où un homme qui a tout donné pour son exploitation et son métier se retrouve à bout physiquement et moralement.

Face à la crise environnementale, l’agriculture et les agriculteurs sont à la fois coupables, victimes et porteurs de la solution. Cette idée est avancée par Denis Lefèvre dans le numéro de la revue l’Eléphant de ce trismestre. Il y propose un article intitulé « Au-delà de l’Agribashing, une crise existentielle » qu’on vous invite à aller lire. Vous y trouverez des chiffres mais aussi des pistes de réflexions sur le sujet.

Belle semaine à tous !

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